ASL ET DOMAINE PUBLIC – Intervention du législateur pour mettre fin à leur incompatibilité

 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, art. 220 (JO 24 août 2021)

Après une longue période d’incertitudes suite à deux arrêts du Conseil d’Etat rendus en début d’année 2020, dont il résultait que le régime des associations syndicales de propriétaires était incompatible avec celui de la domanialité publique, le législateur est intervenu pour atténuer la portée de cette jurisprudence.

Par un arrêt du 23 janvier 2020, le Conseil d’Etat est venu jeter un pavé dans la mare en jugeant que « Le régime des associations foncières urbaines libres est incompatible avec celui de la domanialité publique, notamment avec le principe d’inaliénabilité » (CE, 23 janv. 2020, Société JV Immobilier, n° 430192).

Cet arrêt visait certes expressément les AFUL (associations foncières urbaines libres), mais dans la mesure où il avait été rendu au visa de l’ordonnance du 1er juillet 2004, et plus précisément de son article 6 relatif à l’hypothèque légale,  il concernait en réalité toutes les associations syndicales de propriétaires.

Le Conseil d’Etat a pu rapidement nuancer sa jurisprudence avec un second arrêt dont il résulte d’une part que « un immeuble inclus dans le périmètre d’une association syndicale et qui, à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004, n’appartenait pas au domaine public d’une personne publique, ne peut devenir une dépendance de ce domaine, alors même qu’il serait affecté (…) » et d’autre part que « L’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004 ne saurait toutefois avoir eu pour effet d’emporter le déclassement des biens qui, avant cette entrée en vigueur, appartenaient déjà au domaine public et se trouvaient compris dans le périmètre d’une association syndicale » (CE, 10 mars 2020, Association syndicale des propriétaires de la cité Boigues, n° 432555).

La solution générale qui semblait se dégager de cette jurisprudence était que le régime juridique préexistant neutralisait l’application du régime qui lui était incompatible, c’est-à-dire que : 

  • Si le classement du bien dans le domaine public est antérieur à la création de l’ASL, le bien continue d’appartenir au domaine public et les dispositions de l’ordonnance du 1er juillet 2004 incompatibles avec le régime de la domanialité publique, en particulier celles de l’article 6 relatif à la possibilité pour l’ASL de constituer une hypothèque légale sur les biens de ses membres, lui sont inopposables ;
  • Si la création de l’ASL précède la réunion des conditions dans lesquelles un bien serait susceptible de devenir une dépendance du domaine public, le bien ne pourra toutefois pas appartenir au domaine public.

La doctrine a cependant considéré, de manière beaucoup plus tranchée, que « un bien faisant partie du domaine public ou destiné à en faire partie dans le cadre d’une opération immobilière en cours de réalisation, ne peut pas être inclus dans le périmètre d’une ASP. Autrement dit, si la domanialité publique préexiste, elle s’oppose à ce que les biens en relevant intègrent une ASP » (N. Foulquier, R. Leonetti, Domaine public et associations syndicales de propriétaires: le calme après la tempête? : AJDA n° 28, 7 sept. 2020, p. 1609), ce qui revenait à exclure purement et simplement l’idée qu’une dépendance du domaine public pût être incluse dans le périmètre d’une ASL. 

Elle a également observé très justement que l’hypothèque légale prévue à l’article 6 de l’ordonnance ne posait pas seulement un problème de compatibilité avec le domaine public, mais avec tous les biens appartenant à des personnes publiques, même ceux relevant de leur domaine privé, en application du principe d’insaisissabilité prévu à l’article L. 2311-1 du CG3P. 

Ces mêmes auteurs, rejoints par d’autres, ont ensuite publié une tribune pour réclamer une intervention du législateur visant à « sécuriser les situations juridiques existantes et permettre la réalisation des projets urbains futurs des personnes publiques » (N. Foulquier, P. Soler-Couteaux, Ph. Yolka, M. Raunet R. Léonetti, Domaine public et associations syndicales de propriétaires – La nécessité d’une solution législative  :  JCP n° 43-44, 19 oct. 2020, 1163).

C’est ainsi qu’un cavalier législatif a été introduit au III de l’article 220 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Mais le législateur a finalement adopté une approche plus pragmatique que celle qu’avait préconisée la doctrine en se limitant à ajouter un alinéa à l’article 6 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 aux termes duquel :

« Lorsque des personnes publiques sont membres d’une association syndicale de propriétaires, l’hypothèque légale ne s’applique pas à ceux de leurs immeubles qui appartiennent au domaine public. »

Les textes viennent ainsi confirmer que l’hypothèque légale est inapplicable aux biens du domaine public inclus dans le périmètre d’une association syndicale de propriétaires. Le principe d’incompatibilité posé par le Conseil d’Etat est donc implicitement écarté.

Le législateur a également pris soin de préciser que les dispositions de cet alinéa sont applicables aux associations syndicales de propriétaires créées avant l’entrée en vigueur de l’article 220 de la loi du 22 août 2021.

On pourra cependant regretter qu’il soit resté muet sur le cas des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques au regard du principe d’insaisissabilité. Compte tenu de l’absence de toute mention de ce sujet dans les travaux parlementaires, il paraît difficile d’en déduire une intention caractérisée du législateur d’exclure les biens du domaine privé des personnes publiques du champ de ceux pour lesquels l’hypothèque légale ne s’applique pas. 

Sébastien Lamy-Willing