Champ d’application des autorisations d’urbanisme et changement de destination : le Conseil d’Etat a tranché !

CHANGEMENT DE DESTINATION ET CHAMP D’APPLICATION DES AUTORISATIONS D’URBANISME : LES DESTINATIONS ET SOUS-DESTINATIONS DES ARTICLES R. 151-27 ET R. 151-28 DU CODE DE L’URBANISME SONT OPPOSABLES MEME DANS LE CAS D’UN PLU NON ALURISE (CE, 7 juillet 2022, n° 454789)

Les PLU non alurisés (comme celui de Paris) restent régis, en application de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015, par les dispositions de l’ancien article R. 123-9 du Code de l’urbanisme qui énumérait neuf destinations.

Les articles R. 421-14 et R. 421-17 relatifs aux autorisations requises sur les constructions existantes (respectivement permis de construire et déclaration préalable) visent quant à eux, dans leur rédaction en vigueur depuis le 1er janvier 2016, les nouvelles destinations et sous-destinations énumérées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’urbanisme, sans considération de la circonstance selon laquelle le PLU est alurisé ou non.

L’administration avait alors pris l’initiative, en 2016, de modifier les formulaires de permis de construire pour y introduire deux tableaux différents : 

  • Rubrique 5.5 : « Destination des constructions et tableau des surfaces (uniquement à remplir si votre projet de construction est situé dans une commune couverte par un PLU ou un document en tenant lieu appliquant l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er  janvier 2016) ».
  • Rubrique 5.6 : « Destination, sous-destination des constructions et tableau des surfaces (uniquement à remplir si votre projet de construction est situé dans une commune couverte par le règlement national d’urbanisme, une carte communale ou dans une commune non visée à la rubrique 5.5) ».

Un parlementaire avait pu observer que ces formulaires n’apparaissaient pas conformes à l’état du droit. Il avait donc demandé à l’administration de « confirmer que la notion de changement de destination prévue aux articles R. 421-14 c) et R. 421-17 b) du code de l’urbanisme s’applique désormais uniformément sur l’ensemble du territoire national, et cela sans égard pour la nature et la date d’approbation du document local d’urbanisme » (Question écrite sans réponse n° 101587, 20 décembre 2016).

Une partie de la doctrine s’était également positionnée en faveur d’une application immédiate des nouvelles dispositions des articles R. 421-14 et R. 421-17 du Code de l’urbanisme, y compris dans les communes non couvertes par un PLU alurisé (J.-Ph. Meng, La recodification et le nouveau contenu du PLU : Defrénois, 2016, p. 616 – et de manière plus nuancée : G. Daudré, F. Polizzi, Les changements de destination et d’usage en question : Defrénois n° 17, 2017, p. 31).

Une tendance jurisprudentielle selon laquelle les destinations de l’ancien article R. 123-9 demeurent seulement applicables pour l’application des règles du PLU avait également commencé à se dessiner (CAA Lyon, 2 oct. 2018, n° 17LY01129).

Malgré cela, les services instructeurs ont continué de faire application des articles R. 421-14 et 421-17 du Code de l’urbanisme, dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2016, pour apprécier le champ d’application des autorisations d’urbanisme, au regard des neuf destinations de l’ancien article R. 123-9.

Pour ce qui concerne la ville de Paris spécifiquement, son service instructeur s’appuyait sur un jugement selon lequel les changements de destination devaient être appréciés au regard des neuf anciennes destinations pour déterminer le champ d’application de l’autorisation d’urbanisme requise (TA Paris, 7 févr. 2019, n° 1719507).

Ce jugement du 7 février 2019 avait été annulé par la cour administrative d’appel de Paris, au motif que :

« 4. Si l’article 12 du décret 28 décembre 2015 susvisé prévoit que  » Les dispositions des articles R. 123-1 à R. 123-14 du code de l’urbanisme dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015 restent applicables aux plans locaux d’urbanisme dont l’élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant le 1er janvier 2016 « , tout en permettant à leurs auteurs d’opter, par délibération expresse, pour la soumission au nouveau régime, cet article, ainsi qu’il résulte de ces termes mêmes, ne concerne que le maintien des règles relatives à l’élaboration et au contenu des plans locaux d’urbanisme, et non le maintien en vigueur des dispositions de l’article R. 421-14 relatives aux autorisations d’urbanisme, dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2016.
5. Il résulte de ce qui précède que la ville de Paris, dont le plan local d’urbanisme a été adopté en juillet 2016, ne pouvait se fonder, nonobstant la circonstance que ce plan avait été mis en révision avant le 1er janvier 2016, sur les dispositions de l’article R. 421-14 dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015, lesquelles renvoyaient à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme qui distinguait, parmi les destinations les activités de commerce de celles d’artisanat. En conséquence, saisie de la demande de la société requérante, et alors que la modification projetée d’une boucherie en commerce ne relevait plus, contrairement à ce qu’il en était dans l’état du droit antérieur au 1er janvier 2016, d’un changement de destination, les articles R. 151-27 et R. 151-28 regroupant désormais au sein d’une même destination le commerce et l’artisanat, le maire de Paris ne pouvait légalement s’opposer à la déclaration préalable au motif que les travaux projetés nécessitaient un permis de construire. » (CAA Paris, 20 mai 2021, n° 19PA00986)

Le juge d’appel a ainsi estimé que le champ d’application de l’autorisation d’urbanisme requise (permis de construire, déclaration préalable ou aucune autorisation) devait être déterminé au regard des 5 destinations et 21 sous-destinations énumérées aux articles R. 151-27 et R. 151-28, selon les définitions apportées par l’arrêté du 10 novembre 2016. 

Il s’agissait en l’espèce de la transformation d’un local d’artisanat (boucherie) en commerce (supérette) à Paris. Au regard des nouveaux textes, il n’y a pas de changement de destination, ni de sous-destination, puisque ceux-ci sont désormais regroupés sous une seule et même sous-destination, à savoir « artisanat et commerce de détail », au sein de la destination « commerce et activités de service ». Il en résulte qu’une telle transformation est dispensée de toute autorisation d’urbanisme.

La ville de Paris, opposée à ce projet de transformation, s’est alors pourvue en cassation en vue d’obtenir l’annulation de cet arrêt de la cour administrative d’appel de Paris.

Mais par un arrêt du 7 juillet 2022, le Conseil d’Etat a rejeté ce pourvoi, en retenant que :

« 6. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que les règles issues du décret du 28 décembre 2015 définissant les projets soumis à autorisation d’urbanisme, selon notamment qu’ils comportent ou non un changement de destination d’une construction existante, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016, sans qu’ait d’incidence à cet égard le maintien en vigueur, sauf décision contraire du conseil municipal ou communautaire, de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016, dans les hypothèses prévues au VI de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015, lequel ne se rapporte qu’aux règles de fond qui peuvent, dans ces hypothèses particulières, continuer à figurer dans les plans locaux d’urbanisme et ainsi à s’appliquer aux constructions qui sont situées dans leur périmètre. Les règles soumettant les constructions à permis de construire ou déclaration de travaux, dont un plan local d’urbanisme ne saurait décider et qui relèvent d’ailleurs d’un autre livre du code de l’urbanisme, sont définies, pour l’ensemble du territoire national, par les articles R. 421-14 et R. 421-17 du code de l’urbanisme, qui renvoient, depuis le 1er janvier 2016, pour déterminer les cas de changement de destination soumis à autorisation, aux destinations et sous-destinations identifiées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 de ce code.

7. Par suite, en jugeant que la procédure administrative applicable au projet de la société CSF, postérieur au 1er janvier 2016, devait être déterminée par application des dispositions de l’article R. 421-14 du code de l’urbanisme issues du décret du 28 décembre 2015, nonobstant la circonstance que le plan local d’urbanisme de la Ville de Paris était en cours de modification le 1er janvier 2016, pour en déduire que la demande de cette société n’était plus soumise à permis de construire mais à déclaration préalable dès lors que la modification projetée d’une boucherie en commerce ne constituait, désormais, plus un changement de destination, la cour administrative d’appel de Paris a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit. » (CE, 7 juillet 2022, n° 454789)

La question est donc définitivement tranchée par le Conseil d’Etat. Le champ d’application de l’autorisation d’urbanisme requise (permis de construire, déclaration préalable ou aucune autorisation) doit être déterminé au regard des 5 destinations et 21 sous-destinations énumérées aux articles R. 151-27 et R. 151-28, selon les définitions apportées par l’arrêté du 10 novembre 2016, que le PLU soit alurisé ou non. Mais il n’en demeurera pas moins que les définitions apportées par un PLU non alurisé pour chacune des neuf anciennes destinations et les règles qui en découlent resteront opposables aux projets.

La solution retenue par le Conseil d’Etat pose un problème de fond d’une part et une difficulté pratique d’autre part.

Sur le problème de fond : il existe un certain nombre de cas où les règles fixées par le PLU consistent justement à interdire ou contraindre la suppression d’une destination par exemple. Le respect de cette règle pourra désormais échapper au contrôle du service instructeur au cas où l’opération envisagée ne constitue pas un changement de destination au sens des textes en vigueur (comme dans l’arrêt ici commenté) ou bien constitue simplement un changement de sous-destination qui, lorsqu’il n’est pas accompagné de travaux de modification de structures porteuses ou de la façade du bâtiment, est dispensé de toute autorisation d’urbanisme. A contrario, une opération qui ne constituait pas un changement de destination au sens de celles énumérées à l’ancien article R. 123-9 pourraient en constituer soit un changement de destination au sens de celles énumérées à l’article R. 151-27, soit un changement de sous-destination au sens de celles énumérées à l’article R. 151-28 et donc nécessiter de ce fait l’obtention d’un permis de construire ou d’une déclaration préalable. 

Sur la difficulté pratique : dans le cas d’un PLU non alurisé, il est désormais clairement établi qu’il faudra renseigner les deux tableaux de destination dans le formulaire de permis de construire ou dans celui de déclaration préalable, à savoir celui figurant à la rubrique 5.5. du formulaire (énumérant les 9 destinations de l’ancien art. R. 123-9) pour les besoins de l’instruction du projet au regard des règles d’urbanisme et celui figurant dans la rubrique 5.6 du formulaire (énumérant les 5 destinations et 21 sous-destinations) pour ce qui concerne l’appréciation du champ d’application de l’autorisation sollicitée. Il faudra donc jongler avec une double qualification et indiquer les surfaces correspondantes, ce qui aura tout de même le mérite d’entériner la destination et la sous-destination de référence de la construction, ce qui sera particulièrement utile lorsque le PLU applicable viendra à être alurisé.  

Sébastien LAMY-WILLING