Violation du cahier des charges de lotissement : pas de démolition si cette sanction est disproportionnée

Lorsque la violation du cahier des charges de lotissement apporte simplement un désagrément pour le voisinage mais n’occasionne aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la démolition apparaît disproportionnée et ladite violation peut être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts (Cass. 3e civ., 13 juill. 2022, n° 21-16.408).

C’est la première fois que la Cour de cassation retient le critère de proportionnalité de la sanction infligée par rapport au préjudice subi par les requérants du fait de la violation d’un cahier des charges de lotissement. Il s’agit d’un infléchissement de sa jurisprudence puisque auparavant, elle avait jugé à plusieurs reprises que tout coloti était fondé à demander que les bâtiments édifiés en violation du cahier des charges soient démolis, sans avoir à justifier d’un préjudice (Cass. 3e civ., 19 mai 1981 – Cass. 3e civ., 21 juin 2000, n° 98-21.129 – Cass. 3e civ., 12 févr. 2008, n° 06-20.185). La juridiction administrative ne pouvait écarter la démolition qu’à raison d’une impossibilité d’exécution de celle-ci (Cass. 3e civ., 9 mai 2007, n° 06-12.474) ou bien naturellement lorsque la violation du cahier des charges était sans lien avec la densité d’une construction (Cass. 3e civ., 27 févr. 2001, n° 99-14.807 : à propos d’une antenne parabolique. – Cass. 3e civ., 14 mai 2013, n° 11-15.555 : à propos du matériau de toiture).

Une jurisprudence récente de la Cour de cassation avait laissé entrevoir cet infléchissement puisqu’aux termes d’un arrêt du 19 décembre 2019, elle avait jugé déjà pour la première fois que la sanction de principe d’une construction édifiée en violation d’une servitude ne devait plus être la démolition, mais que celle-ci ne pouvait être prononcée qu’à la condition de ne pas être disproportionnée au regard du droit au respect du domicile (Cass. 3e civ., 19 déc. 2019, n° 18-25.113).

Dans son arrêt du 13 juillet 2022, elle fait donc application de ce critère de proportionnalité à la violation du cahier des charges de lotissement, à ceci près que ce n’est pas une liberté fondamentale telle que le droit au respect du domicile qui est mise dans la balance ici, mais simplement une circonstance de fait, à savoir la nature du préjudice occasionné pour les colotis. Le juge de cassation considère en l’occurrence que la démolition aurait été une sanction proportionnée si elle avait occasionné une perte de vue pour les requérants ou bien un vis-à-vis. On peut d’ailleurs se demander si ces deux circonstances énumérées dans l’arrêt présentent un caractère limitatif ou bien si le préjudice subi pourrait également s’appuyer sur d’autres types de troubles. On notera également que le juge de cassation retient ici que l’immeuble litigieux « avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement », argument qui peut laisser sceptique puisque d’une part le juge civil n’est pas compétent pour apprécier la conformité d’un projet à un règlement (pas plus qu’à l’esprit du règlement) et d’autre part les règlements de lotissement sont nécessairement caducs passé un délai de dix ans à compter de la date d’autorisation de lotir, ce qui est très probablement le cas en l’espèce compte tenu des dates indiquées dans l’exposé des faits. Il reste difficile de déterminer en revanche si, à la date de la délivrance du permis de construire ayant autorisé la construction litigieuse, le règlement était encore opposable. 

L’allocation de dommages-intérêts apparaît alors, lorsque la démolition est disproportionnée, comme l’unique sanction alternative. Autrefois, la Cour de cassation avait jugé que la réparation en nature n’était pas exclusive d’une condamnation simultanée à des dommages-intérêts (Cass. 3e civ., 27 mai 1997, n° 95-17.640).

Cette solution laisse ainsi entendre que désormais, les colotis qui voudront engager une action à l’encontre d’une construction édifiée en violation du cahier des charges de lotissement devront démontrer l’existence d’un préjudice allant au-delà d’un simple désagrément, telle qu’une perte de vue ou la création d’un vis-à-vis, pour obtenir sa démolition. 

Sébastien Lamy-Willing